Audouin Dollfus est un des plus grands astronomes français contemporains. Essentiellement célèbre pour être le découvreur de Janus, satellite de Saturne, il a également été en son temps un aéronaute émérite, recordman du plus haut vol en ballon (14km d'alt.). Ces exploits en astronomie sont nombreux : Détermination de la composition du sol de Mars, détection d'un résidu atmosphérique sur Mercure, choix du terrain d'alunissage de la mission Apollo XI, etc ... Jadis grand astronome à l'observatoire du Pic du Midi aux côtés de Bernard Lyot, il a été jusqu'à la fin de sa vie astronome honoraire à l'Observatoire de Paris Meudon, et directeur de l'Observatoire de Triel-sur-Seine (Yvelines).
Audouin Dollfus est né le 12 Novembre 1924, d’un père aéronaute et conservateur du Musée de l’Aéronautique (Charles Dollfus, 1893 – 1981).
Il évolue donc dès son plus jeune âge dans ce milieu qui conditionnera tout le reste de sa vie.
A l’âge de 8 ans, il effectue ainsi son premier vol en ballon et attrape aussitôt le virus.
Suite à la découverte d’un livre dans la bibliothèque de ses grands-parents (« Le Ciel », d’André Guillemin),le jeune Audouin Dollfus est rapidement attiré par l’appel du ciel, d’abord en tant qu’observateur, car il se passionne pour l’astronomie. Il déclarera plus tard : « Je n’y comprenais rien, mais les gravures de champs d’étoiles et de planètes m’ont immédiatement fasciné. Et j’ai entrevu là que l’on pouvait sûrement devenir astronome ».
En 1941, le 14 Juillet, il fait une observation qui sera pour lui une révélation. L’astronome amateur Jean Dragesco lui fait observer Mars dans sa lunette de 153mm de diamètre. Avec un grossissement de 200 fois, le jeune Audouin est émerveillé par le disque planétaire et les détails de la surface, ce souvenir restera gravé dans sa mémoire toute sa vie. Il décide alors qu’il consacrera sa vie à l’astronomie.
Dès 1945, il se rend à l’Observatoire du Pic du Midi de Bigorre, dans les Pyrénées, où il est initié par celui qui deviendra son mentor : Bernard Lyot.
Bernard Lyot est un ami du père d’Audouin Dollfus, Charles Dollfus, et célèbre inventeur du coronographe. Selon Audouin Dollfus, c’est grâce à cet homme, à sa rigueur et à la générosité de son enseignement qu’il est devenu un astronome accompli. Il observe là-bas dans une nouvelle lunette de 600mm de diamètre donnant des grossissements de 1000 fois, elle est alors la plus grande lunette du monde ! Audouin Dollfus étudie notamment Saturne à partir du mois de décembre, il est alors loin de se douter que la planète aux anneaux sera le théâtre d’une de ses plus grandes découvertes …
En parallèle, il étudie à la faculté des sciences de Paris et obtient son doctorat en mathématiques dès 1946. Il devient dans la foulée astronome assistant à la section astrophysique de l’Observatoire de Meudon, à Paris. Par la suite, il y deviendra aide astronome, puis adjoint, puis titulaire, et enfin honoraire …
Malgré sa situation à Paris, il se rend très fréquemment au Pic du Midi pour y effectuer des travaux en compagnie de Bernard Lyot.
En 1947, Audouin Dollfus est diplômé d’études supérieures de physique.
En 1948, il devient attaché de recherches au CNRS, puis assistant à l’Observatoire de Paris l’année suivante.
Très vite, il choisit de se spécialiser dans l’étude du système solaire. En effet, alors qu’auparavant l’étude du ciel portait essentiellement sur les objets diffus du ciel profond, notamment catalogués par Charles Messier, les planètes du système solaire étaient reléguées au second plan, ne suscitant qu’un intérêt très limité. Mais, suite aux premières observations de Mars au XIXème siècle et à la cartographie de sa surface (laissant apparaître tout un réseau de canaux qu’on croyait signe d’une présence civilisée), les astronomes se mirent à se passionner pour ces mondes mystérieux, passion dont le principal moteur et le but ultime était la recherche de vie extraterrestre.
Suite à ce nouvel engouement par la communauté scientifique de l’exploration du système solaire, la Société Astronomique de France créé en 1956 (à l’occasion du rapprochement de la planète Mars) la Commission des Surfaces Planétaires. Le but de cette commission est alors de publier de façon régulière des comptes rendus de travaux établis autant par les professionnels que par les amateurs. C’est Audouin Dollfus qui prend la tête de cette commission. De nombreuses réunions sont organisées pour échanger des observations, des idées et lancer des débats et de profondes discussions pour tenter de percer les mystères du système solaire. Les travaux les plus approfondis sont même publiés dans le revue de la SAF, l’Astronomie.
Audouin Dollfus focalise essentiellement ses travaux sur l’étude du Soleil et sur l’étude des sols planétaires grâce à la méthode de détection par polarisation de la lumière.
Il est ainsi chargé de déterminer la composition du sol martien, à la faveur du rapprochement de la planète à cette période. Il est vrai qu’avant qu’on y envoie la première sonde, Viking, ce sujet portait à débat.
Afin de déterminer avec la plus grande précision possible la polarisation de la lumière martienne, il faut veiller à ce qu’elle soit la moins « polluée » possible par l’atmosphère terrestre qui, par phénomène de turbulences atmosphériques et d’humidité trop importante, perturbent les trajectoires des rayons lumineux, et par la même occasion leur interprétation.
A l’époque, aucun télescope spatial du type Hubble n’existe, la seule solution est alors d’atteindre la plus haute altitude possible. Dollfus se rend donc à l’Observatoire du Pic du Midi, qui semble le meilleur site au monde à l’époque pour ce genre d’observation. Il fait notamment équipe avec Henri Camichel, Marcel Hugon, Jean Focas et Antoniadi (ce dernier cartographie de façon très précise, grâce à la grande lunette de Meudon, la planète Mars et démontre l’absence des canaux martiens !) …
Malheureusement, après quelques essais, il est évident que l’atmosphère est encore trop épaisse, la lumière martienne observée n’est pas exploitable pour des mesures précises … Et c’est là que l’observateur prend le costume d’explorateur. Audouin Dollfus, qui par un heureux hasard a été initié depuis toujours au voyage en ballon, va ainsi marier ses deux passions. Pour se faire, il retourne en région parisienne.
En véritable pionnier de l’exploration spatiale, il s’envole donc une première fois de la base de Villacoublay (Yvelines) en 1954 pour un vol en ballon à 7000 mètres d’altitude, la nacelle du ballon étant munie sur son côté du télescope. L’expédition est un succès, les résultats obtenus sont bons mais améliorables …
Afin d’obtenir des résultats absolument satisfaisants, l’altitude doit être quasiment doublée pour atteindre la stratosphère, afin que l’atmosphère terrestre ne soit plus handicapante. Le projet est une folie, et pourtant le professeur Dollfus et son équipe vont relever le défi !
Son équipe entame ainsi la construction en 1957-58 d’une nacelle étanche faite en aluminium (1.2mm d’épaisseur) recouvert de polystyrène (2cm d’épaisseur), pesant 42kg et mesurant 1.80m de diamètre. A son sommet, on installe un télescope de type Cassegrain de 500mm de diamètre. La masse totale de la cabine est ainsi de 105kg. Dans cette nacelle conservant les conditions de pression, de température et d’oxygène de la surface, l’explorateur s’envole donc une seconde fois le 22 Avril 1959, de nouveau depuis la base de Villacoublay. L’envol était initialement prévu pour la fin 1958, mais les conditions météorologiques défavorables repoussent l’échéance au printemps 1959 … Entre temps, l’objectif de la mission change lui aussi du fait du changement de la configuration du ciel, il s’agit désormais d’observer également l’atmosphère de Vénus, de la Lune et de la Terre.
Cette fois-ci, la structure du ballon est d’une toute autre nature … Il ne s’agit pas cette fois-ci d’une montgolfière, mais d’une sorte de « grappe de raisin » haute de 500 mètres (!!), constituée de 105 petits ballons en caoutchouc regroupés par groupes de 3 le long d’un câble central, qui est par étapes muni de charges de poudre sensées faire éclater progressivement les ballons ; le but étant de ralentir l’ascension et de stabiliser l’engin à une altitude donnée, puis d’effectuer la redescente en douceur. Bien qu’ingénieux, ce procédé est relativement approximatif, puisque le ballon est sensé se stabiliser entre 10 000 et 15 000 mètres.
L’objectif est finalement atteint, avec une stabilisation à 14 000 mètres, un record du monde ! L’observation par le télescope embarqué est un succès (grâce à la présence d’un télescope muni d’un spectroscope dont la mission était de traquer la vapeur d’eau dans l’atmosphère) et la redescente se déroule sans encombre, avec un atterrissage en douceur, 5 heures après le décollage.
Voici le récit complet de l’expérience relaté par Audouin Dollfus lui-même, minute après minute, sur le site du CNES (Centre National d'Etudes Spatiales) :
http://www.cnes-observatoire.net/site_0305/initiat_JEP_musees/12_museeespace.html
Grâce à ces résultats par photographie, photométrie et polarimétrie, Dollfus décide de déterminer la lumière polarisée de centaines de minéraux terrestres, jusqu’à ce que leur lumière corresponde à celle du sol martien. Après maintes expériences, il s’aperçoit que seul la limonite (Fe2O3) pulvérisée correspond. Il en conclu alors que le sol désertique martien est recouvert d’oxyde de fer. Ces conclusions sont contestées par l’astronome Gérard Kuiper (astronome qui donnera son nom à la célèbre ceinture de Kuiper, situé au-delà de l’orbite de Neptune) de l’Université de Chicago, qui trouve que cet oxyde de fer donne des résultats approximatifs. Il détermine ainsi que le matériau le plus approprié est une roche ignée à grains fins.
Les mesures de polarisation excluent toute idée de végétation sur le sol, mais la quantité d’eau décelée dans l’atmosphère est jugée suffisante pour envisager une certaine forme de vie sur la planète …
Grâce à cette technique d’observation par polarisation de la lumière, Audouin Dollfus est également capable de détecter contre toute attente la présence d’une atmosphère sur Mercure.
En 1950, on croit toujours que la proximité de la planète avec le Soleil et la faible masse de celle-ci sont contradictoires avec toute existence possible d’atmosphère. Dollfus réussi néanmoins à en détecter la trace à l’Observatoire du Pic du Midi. Il détermine que cette atmosphère ne peut être supérieure au 1/300ème de celle de la Terre, que son niveau au sol est d’environ 1 mm et qu’elle doit donc être extrêmement dense et lourde. En réalité, on sait aujourd’hui qu’elle est très ténue : 10-15 bar, la masse totale répartie sur la petite planète n’excédant pas 1 tonne. |
Sur leur lancée, Dollfus et Bernard Lyot étudient également la possibilité d’une atmosphère sur la Lune, mais ils s’apercevront rapidement que c’est impossible, le taux de dissipation thermique des gaz étant trop élevé. Aucune polarisation n’est détectable, la question est donc définitivement close.
Les recherches d’Audouin Dollfus se portent désormais sur le système de Saturne.
En effet, dès le début des années 1950, les astronomes pensent que les divisions présentes dans les anneaux sont dues à la présence de satellites encore inconnus. En 1957, à l’Observatoire de Meudon, Dollfus pressent l’existence d’un satellite dont l’attraction perturbe les anneaux de Saturne.
L’équipe d’Audouin Dollfus s’affaire donc à observer les anneaux dans les plus grands télescopes du monde, notamment dans le puissant télescope de l’Observatoire Mc Donald au Texas (2m de diamètre), afin d’obtenir une finesse d’image inégalée.
De retour au Pic du Midi, ils procèdent à une analyse micrométrique révélant très précisément la structure des anneaux.
La position des divisions est sensée correspondre parfaitement avec la distance des satellites Mimas, Encelade et Téthys, par phénomène de résonance. Pourtant les résultats ne correspondent pas parfaitement, et les astronomes en concluent la présence d’un satellite supplémentaire dont la masse perturbe les résultats. Selon eux, si on ne l’a jusqu’à présent jamais découvert, c’est parce qu’il doit être situé très près de l’anneau, dans le rebords externe, et il est ainsi noyé dans la lumière de la planète reflétée sur les anneaux, il doit donc être indétectable visuellement.
La seule solution pour l’observer est d’attendre le moment propice où la Terre passera précisément dans le plan des anneaux de Saturne. Nous somme en 1966, et cet évènement doit se produire 2 fois dans l’année.
La première fois, le 29 Octobre 1966 : Pendant une vingtaine de jours, l’Académie des Sciences de l’Union Soviétique met à la disposition d'Audouin Dollfus ses meilleurs télescopes. Pourtant, il ne peut faire que des observations visuelles et pas de photographie. Malgré de bonnes conditions d’observation, ce handicap empêche toute découverte.
La seconde fois, le 17 Décembre 1966 : dernière chance de trouver le satellite manquant avant la prochaine « occultation » des anneaux prévu pour 1981 … Dollfus reste en France, grâce à l’installation d’un nouveau télescope de 107cm de diamètre à l’Observatoire du Pic du Midi. Afin de capturer l’image du satellite, il doit poser suffisamment longtemps … Mais pour cela il faut absolument masquer la lumière aveuglante de Saturne. Il installe donc une bande de celluloïd absorbant la lumière dans le plan focal du télescope, ce qui permet d’envelopper le globe planétaire en réduisant par un facteur 100 sa luminosité, tout en préservant la faible lueur des anneaux vus par la tranche. Le détail à observer est si minime qu’il faut bénéficier d’une précision extrême de l’image : Il faut donc encore jouer avec les effets de contraste en rajoutant des plaques photographiques, les temps de pose (entre 10 et 20 minutes), les tremblements du tube optique, les variations atmosphériques, les imperfections minimes du moteur électrique de la monture équatoriale, etc … Mais grâce au génie de l’équipe, tout est prêt pour effectuer au mieux leur recherche au jour J.
Le télescope prend finalement 3 clichés sur une période de 3 jours, sur lesquels apparaît un très faible point lumineux non identifié, situé exactement sur le plan des anneaux et se déplaçant d’est en ouest. Les résultats sont formels, le satellite est découvert !
Au total, 28 clichés sont pris, et les orbites sont re-calculés. L’équipe de Dollfus transmet les résultats à d’autres observatoires de la planète, qui se relaient et confirment la découverte, prenant eux aussi une foule de clichés. Après calculs, il apparaît que l’inclinaison orbitale du satellite est nulle.
Le satellite, le dixième satellite de Saturne, est baptisé « Janus » par Audouin Dollfus lui-même, du nom d’une divinité grecque.
Cette découverte est la consécration de la carrière du professeur Dollfus.
En 1969, l’astronome amateur Jean Dragesco (l’homme ayant montré Mars pour la première fois au Jeune Dollfus) succède à Audouin Dollfus en tant que président de la Commission des Surfaces Planétaires.
Durant cette période, le professeur Audouin Dollfus s’investit dans divers projets spatiaux internationaux : Après avoir démontré grâce à sa technique de polarisation de la lumière que le sol lunaire était recouvert d’une épaisse couche de poussière composée de basalte pulvérisé, l’équipe américaine du projet Apollo11 se sert de ces résultats pour déterminer la nature de l’alunissage à effectuer (cette couche épaisse de plusieurs dizaines de centimètres par endroits est le résultats des très nombreux impacts météoritiques qu’à connu la Lune dans sa jeunesse). En ce sens, on peut dire que c’est en partie grâce au professeur Dollfus si l’homme a marché sur la Lune !
Il met également au point en 1973 un polarimètre pour la mission soviétique Mars-5 …
En parallèle, il continue ses observations du système Saturnien et découvre en 1979 l’anneau extérieur.
En 1989, Audouin Dollfus reprend la direction de la Commission des Planètes, qui a été rebaptisée ainsi en remplacement de la Commission des Surfaces Planétaires en raison de la diversification des études planétaires dû à l’élargissement du champ d’observations et à la multiplication des missions d’exploration spatiales américaines et soviétiques.
Audouin Dollfus se focalise à partir de cet instant à la diffusion de la connaissance, il est depuis un vulgarisateur émérite.
En Juin 2002, la Commission des Planètes se scinde en deux et sa branche observationnelle devient la Commission des Observations Planétaires ; Daniel Crussaire y succède au professeur Dollfus.
A la fin de sa vie, toujours astronome honoraire à l’Obspm (Observatoire de Paris-Meudon), Audouin Dollfus est également président de l’Observatoire de Triel-sur-Seine (Le Parc aux Etoiles, Yvelines). Outre ses activités scientifiques, il accorde une importante part de son emploi du temps à la vulgarisation scientifique, dont il est très soucieux, notamment auprès des jeunes générations (qui rechignent de plus en plus à opter pour un cursus scientifique, ce qui risque d’entraîner la science dans son ensemble vers une crise des effectifs à court terme) : Il se rend dans les écoles, assiste ou anime des conférences, publie des ouvrages à succès, etc…
Son œuvre est désormais très conséquente, puisque tout au long de sa carrière il a réparti ses recherches (spécialisées sur l’astrophysique du système solaire) dans plus de 300 publications scientifiques.
Il est titulaire de nombreux prix et distinctions scientifiques dont le prix Janssen, qui est la plus haute distinction de la Société Astronomique de France, le diplôme Tissandier de la Fédération Aéronautique Internationale et le Grand Prix de l’Académie des Sciences.
En son honneur, l’astéroïde 2451 Dollfus porte son nom.
Audouin Dollfus est décédé le 1er Octobre 2010.