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Ce modèle de trou noir n’existe probablement pas dans la nature, car c’est le modèle le plus simpliste, idéalisé dirons nous. Il est néanmoins théoriquement possible et utile car permettant d’aborder les concepts de trous noirs de la manière la plus facile.
Que se passe-t-il pour un observateur s’approchant du trou ? Dans un premier temps, il va subir des forces de marées générées par la différence de valeur de la gravitation entre deux points qui ne sont pas à la même distance du corps massif qui l’attire. Nous les subissons également sur Terre mais elles sont insignifiantes, ce qui n’est pas le cas aux abords de l’horizon d’un trou noir ! En regardant un objet s’approchant du trou noir, notre observateur verra que la lumière émise par l’objet va se décaler vers les grandes longueurs d’onde par effet de redshift gravitationnel (sorte d’effet Doppler dû à la gravitation). Plus l’objet s’approchera de l’horizon et plus la longueur d’onde s’allongera jusqu’à tendre vers l’infini. Le temps ralentissant lui aussi, l’observateur va voir l’objet tomber vers le centre sans jamais l’atteindre, avec un rayonnement de fréquence de plus en plus faible. |
En continuant sa descente, notre observateur arrivera à hauteur de la sphère des photons.
Autour d’un corps massif, un objet peut se satelliser pourvu qu’il se déplace à une vitesse suffisamment importante pour compenser la gravité exercée sur lui, à l’altitude à laquelle il se trouve. L’exemple le plus simple, c’est la Lune : Si elle est maintenue dans le ciel, c’est grâce à sa vitesse de déplacement qui crée la force centrifuge nécessaire à sa satellisation ; autrement dit, si elle se déplaçait plus lentement, elle s’écraserait sur Terre. Et à l’inverse si sa vitesse était trop rapide, elle s’échapperait de son orbite pour errer dans le système solaire … Ainsi, plus un corps est bas et plus il doit aller vite. Autour d’un trou noir, la gravité est telle qu’il existe une altitude où la vitesse de satellisation est égale à celle de la lumière : c’est la sphère des photons. En effet, seuls les photons atteignent cette vitesse.
Après avoir franchi cette sphère, notre observateur va traverser l’horizon des évènements. A ce stade, il franchi un point de non retour. A cet instant, il y a permutation de l’espace et du temps : ce qui était devant l’observateur devient son futur, cela signifie qu’il ne peut rester immobile et qu’il n’a aucun moyen de ne pas se précipiter dans la singularité. Celle-ci est dite de type spatial.
La principale différence avec le trou noir de Schwarzschild, c’est que celui-ci est électriquement chargé. La solution de Schwarzschild n’est donc plus valable.
Nous venons juste de voir qu’en franchissant l’horizon, il se produit une permutation de l’espace et du temps, et bien cette fois-ci elle se produit deux fois. En franchissant le deuxième horizon dit « intérieur » (ou aussi horizon de Cauchy), l’espace et le temps reprennent ici leur propriété, et il devient alors possible d’éviter la singularité, qui est dite de type temporel. Plus le trou noir est chargé et plus les deux horizons se rapprochent, et s’il est suffisamment chargé, les deux horizons disparaissent, seule reste la singularité « nue ».
Apparemment, cette éventualité reste sceptique aux yeux de nombreux scientifiques qui pensent que cela n’est pas possible, l’Univers s’appliquant une sorte d’autocensure*. Ce trou noir est également étudié comme étant un modèle, aucun n’a pu être observé et surtout il semble peu vraisemblable qu’il en existe dans l’Univers, car l’étoile qui lui donnerait naissance aurait du être elle-même chargée électriquement, ce qui semble difficile à concevoir.
* principe de censure cosmique : Si la vitesse de rotation du trou noir est suffisamment importante, les deux horizons se rapprochent jusqu’à fusionner et disparaître, laissant la singularité nue. On peut alors appliquer le principe de censure cosmique de Roger Penrose. Derrière un horizon des évènements, la singularité est isolée de notre Univers et n’interagit pas avec lui. Lorsqu’elle devient nue, cela lui est possible. Une singularité non entourée d’un horizon des évènements devient alors le passé de certains points de l’espace-temps. La présence de courbes fermées de genre temps n’est plus impossible, situation qui autorise une violation de la causalité. C’est-à-dire que notre observateur pourrait remonter le temps …
C’est le modèle le plus réaliste, collant le mieux à la réalité, car dans ce modèle, l’étoile qui lui donne naissance est en rotation.
Le nom de Kerr vient du mathématicien Roy Kerr (Nouvelle Zélande) : Il est le premier à avoir, en 1963, résolu des équations de la relativité générale au voisinage d’une masse en rotation.
Il résulte de cette rotation de l’astre un mouvement rotatoire de l’espace-temps lui-même, une sorte de déformation due à la masse du trou noir. C’est un effet qui se produit également autour de la Terre et de toutes les planètes et étoiles, mais dans des proportions moindres, négligeables. Ce qui n’est pas le cas avec un trou noir. Du fait de l’espace-temps en rotation, notre observateur va cette fois-ci observer deux sphères des photons, sous forme d’ellipse. Selon que les photons du plan équatorial orbitent ou non dans le sens rotatoire du trou noir, ils se situent sur l’une ou l’autre sphère. Par contre, aux pôles, les deux sphères se confondent. Plus la vitesse de rotation du trou noir est grande et plus l’éloignement entre les deux sphères est important.
En se rapprochant du trou noir, notre observateur va pénétrer dans une région typique de ce modèle de Kerr : l’ergosphère. C’est une région délimitée par la limite statique à l’extérieur, et par l’horizon externe à l’intérieur, dans laquelle rien ne peut rester immobile.
La limite statique représente l’endroit en deçà duquel rien ne peut rester immobile en altitude, pas même en orbitant à la vitesse de la lumière. Elle est la conséquence de l’entraînement de l’espace-temps en rotation par le trou noir. A titre de comparaison, dans un trou noir de Schwarzschild, c’est l’horizon qui représente cette limite en deçà de laquelle rien ne peut résister à l’attraction de la singularité. Le trou noir de Kerr possède lui aussi deux horizons et provoquent une double permutation de l’espace et du temps. La singularité a la forme d’un anneau, et elle devient répulsive si on l’approche autrement que par son équateur, ce qui semble très surprenant ; pourtant c’est bien le résultat des équations de la métrique de Kerr…
Il semble alors possible de sortir du trou noir, mais uniquement pour se trouver coincé dans un espace négatif ou pour se retrouver dans un autre univers, qui sait… On pourrait alors passer d’univers en univers via les trous noirs, ce qui rejoint l’idée de trous de vers et de fontaines blanches. Dans cette éventualité, il n’est pas impossible que notre Univers soit replié sur lui-même, et que les passages entre trous noirs propagent la matière en différents endroits de ce même Univers, ce qui exclurait la multiplicité des univers … Mais nous entrons une nouvelle fois dans des modèles hautement spéculatifs.
Cette force répulsive, sorte d’anti-gravité, engendre la présence d’une sphère des photons, entourant la singularité elle-même, à l’intérieur de l’horizon intérieur.
Dans la zone entre les deux horizons, la lumière va se trouver infiniment décalée vers le bleu, puisque avant de tomber dans l’horizon extérieur notre observateur voyait la lumière décaler infiniment vers le rouge. On peut considérer que le redshift gravitationnel à l’approche de l’horizon correspond à un transfert de l’énergie des photons en énergie gravitationnelle. Et vice-versa de l’autre côté de l’horizon. Dans cette zone, l’observateur baigne donc dans une mer de radiations gamma.
Tous ces schémas et modèles sont très théoriques, et ne sont d’ailleurs basés que sur la théorie. En particulier, rien que la présence de notre observateur dans le trou noir de Kerr (sensé être entouré de vide absolu) suffirait à déstabiliser le trou noir, ce qui rendrait ce genre de voyage bien improbable.
Pour avoir une vision plus représentative de ce que sont réellement les trous noirs, il faudrait une théorie plus solide qui permette de décrire autant la gravitation que la singularité, concept faisant plutôt appel à la mécanique quantique : cette théorie n’existe pas à l’heure actuelle et pourtant elle a déjà un nom : théorie de gravitation quantique.
D’autres modèles théoriques d’unification des forces (superforce, théorie des cordes), plus ou moins abouties, existent déjà afin de répondre essentiellement aux questions de big-bang et temps de Planck … Mais aucune n’emporte l’adhésion auprès de la communauté scientifique et on semble aujourd’hui assez incapable d’élucider clairement les problèmes de singularités.
Finalement, les trous noirs apportent beaucoup plus de questions qu’ils n’apportent de réponses …
Par exemple : Où passe l’information lorsqu’une particule tombe dans le trou noir ? Nous avons vu que seuls trois informations peuvent émaner d’un trou noir : la masse, la charge et son moment angulaire. Pourtant, un corps possède beaucoup plus d’information, et notamment l’entropie (contraire de l’information), sorte de mesure de son désordre. Lorsqu’une particule perd son entropie au fond d’un trou noir, cela viole le second principe de thermodynamique qui dit que cette entropie ne peut que croître au sein d’un Univers fermé. Or l’Univers est bien fermé puisque rien ne peut s’y échapper par définition ! On sait que la surface de l’horizon d’un trou noir ne peut décroître. En faisant l’analogie entre cette surface qui ne peut que croître et l’entropie qu’il a ingurgité, alors le second principe est sauvé. Néanmoins, cela engendre un nouveau problème : Si le trou noir a assimilé l’entropie de la matière qu’il a avalé, alors il doit également posséder une température. Et tout corps possédant une température est capable de rayonner de l’énergie selon un spectre correspondant à cette température. Et on sait très bien maintenant qu’aucun rayonnement ne peut s’échapper d’un trou noir … De là à dire que le trou noir est l’exception qui confirme là règle, c’est bien trop facile ! Nous voyons donc là toute la complexité du problème …
Mais la science ne baisse pas les armes si facilement et semble capable d’apporter des éléments de réponse à ce genre de dilemme.
Dans les années 60, le physicien Roger Penrose proposa un moyen d’extraire de l’énergie d’un trou noir de Kerr.
Dans l’ergosphère, il est possible sous certaines conditions qu’une particule se scinde en deux, et que l’une des deux particules résultantes tombe vers le centre avec une énergie négative et que l’autre s’échappe de l’ergosphère. Il semble alors que l’énergie de la particule sortante ait augmenté, ce qui signifierait que celle du trou noir lui-même est diminué d’autant. Cela n’est possible que dans le cas d’un trou noir en rotation car, sans rotation, pas d’ergosphère. On estime alors que l’énergie théoriquement extractible d’un trou noir en rotation est de 29% maximum. Finalement, d’une certaine façon, tout ne semble pas si prisonnier d’un trou noir que cela…
On sait, quand on parle du vide, que celui-ci n’est pas si vide que cela, ou plutôt il est même tout sauf vide !! En effet, il s’y passe constamment des combinaisons des paires particules/antiparticules (dites particules virtuelles) d’une durée de vie infinitésimale (un peu comme lors des grandes annihilations de matière lors des premiers instants de l’univers), l’une possédant une énergie positive et l’autre négative, de manière à ce que l’énergie totale soit toujours constante. C’est le principe d’incertitude d’Heisenberg qui nous décrit cela : on appelle ce phénomène « fluctuations du vide quantique ».
Ce phénomène peut alors très bien se produire au sein d’un trou noir. Imaginons qu’une particule possédant une énergie négative tombe derrière l’horizon avant que son antiparticule (chargée positivement) ne la rencontre, la particule restante peut s’éloigner du trou, et elle deviendra réelle. Elle apparaîtra alors, aux yeux de notre infatigable observateur, comme émanant du trou noir ! Bien sûr, au passage, cette particule a emporté de l’énergie avec elle, énergie qui manquera désormais au trou noir.
Seul ce scénario est possible et non l’inverse, car une particule chargée négativement ne peut exister dans notre Univers.
On voit donc à grande échelle une forme d’évaporation du trou noir, le calcul de cette évaporation montre alors que le trou noir possède un spectre de rayonnement thermique caractéristique d’un corps noir. Ce rayonnement a été découvert par Stephen Hawking, le plus éminent physicien contemporain, en 1972. Cette évaporation, longtemps insoupçonnée, amène à une autre conclusion : les trous noirs ont une durée de vie limitée dans le temps. Durée de vie qui dépend évidemment de sa masse, par exemple un trou noir de 6 masses solaires vivra 2x1068 années. Il faut savoir que la température augmente lorsque sa masse diminue, ce qui signifie que lorsque le trou noir s’est évaporé, la température tend vers l’infini et il est alors sensé se produire une titanesque explosion. Cependant les connaissances actuelles en physiques ne sont pas capables de répondre clairement à ce qui se passe à cet instant précis…
Nous avons du vu que la perte d’entropie du trou noir due à sa perte de masse et immédiatement compensée par l’accroissement de l’entropie du rayonnement thermique généré, ce qui permet une non violation du second principe de la thermodynamique.
Comme nous l’avons compris, on peut détecter un trou noir grâce à l’intense courbure spacio-temporelle qu’il engendre à sa périphérie, qui se traduit par l’observation de mirages gravitationnels, et par l’accrétion d’un disque de matière autour de l’horizon des évènements. L’observation est plus aisée lorsque le trou noir fait partie d’un système binaire d’étoiles, avec un compagnon qui lui fournit continuellement de la matière à ingurgiter.
Lorsque le trou noir se trouve au centre d’une galaxie, le même phénomène d’accrétion se produit, mais à une échelle bien plus importante : l’accrétion de matière est alors le moteur de réactions nucléaires qui convertissent la matière en énergie (selon le principe d’équivalence d’Einstein E=mc²), rendant ces trous noirs gigantesques responsables de l’intense activité observée au cœur de certaines galaxies, notamment les quasars. On pense que chaque galaxie possède un trou noir supermassif en son cœur, y compris la Voie Lactée. Rendons-nous bien compte que ces trous noirs gigantesques sont de l’ordre de plusieurs millions de masses solaires.
Il existe trois hypothèses, qui ne sont pas incompatibles entre elles, concernant la formation de ces trous noirs galactiques :
- Certains de ces trous noirs seraient des trous noirs primordiaux, qui sont nés quelques instants seulement après le Big Bang (modèle introduit par Stephen Hawking).
- D’autres trous noirs auraient en fait la même origine que les trous noirs stellaires, leur importance résultant finalement de leur propension à grossir par accrétion.
- Enfin, la troisième hypothèse concerne la formation directe d’un méga trou noir par effondrement gravitationnel d’un amas stellaire tout entier.
Ces deux dernières hypothèses nécessitent alors bien sûr beaucoup de matière, ce qui expliquerait que les trous noirs galactiques se situent au cœur des galaxies, là où la matière est concentrée dans un relatif petit volume. Ceci n’est pas forcément toujours exact, puisque celui que possède la Voie Lactée semble décalé de 300 années-lumière du centre galactique, orbitant autour du point de gravité.
« Notre » trou noir serait grand de 3 milliards de kilomètres (équivalant à l’orbite de Saturne), ce qui semble finalement assez compact pour un trou noir supermassif. Il doit faire plusieurs masses solaires et est en accrétion lente. Son observation n’est pas aisée, et est notamment rendue difficile à cause des importants nuages de gaz qui se trouvent dans les bras de la galaxie et qui nous obstruent la vue du centre galactique.
Nous ne pouvons donc pas observer dans le domaine optique. Heureusement, les ondes radios, les infrarouges et les rayons X parviennent jusqu’à nous. On peut donc observer une région du centre, gros d’une trentaine d’années lumière, et observer une source d’ondes radio, appelée Sagittarius A Ouest. Ce signal est en fait une superposition de deux sources : l’une est thermique (rayonnement d’un gaz chaud) et l’autre est une source radio (rayonnement d’électrons se déplaçant à des vitesses proches de celle de la lumière) appelée rayonnement synchrotron.
Pour conclure, on peut dire que nos connaissances sur les trous noirs sont certainement encore très éloignées de la réalité, ce qui finalement n’est pas si anormal puisqu’ils sont sérieusement étudiés depuis moins d’un siècle. Ils resteront donc encore longtemps des astres abstraits, spéculatifs et uniquement théoriques, continuant d’alimenter les fantasmes des hommes … On peut d’ailleurs leur trouver ici une certaine utilité, puisque les progrès de la science sont autant faits par l’imagination des scientifiques que par leur capacité de raisonnement.
Les trous noirs, comme l’Univers tout entier d’ailleurs, nous font notamment rêver à la possibilité de voyager dans des endroits inaccessibles via des trous de vers et ainsi de contourner le problème de la limite de la vitesse de la lumière, et donc du temps, voire même de voyager dans des univers parallèles. L’imagination de l’homme est sûrement bien plus fertile que ne l’est réellement la nature ; mais c’est grâce à elle que nous avançons constamment à petits pas, dans un Univers où, jusqu’à preuve du contraire, rien n’est impossible.