Les trous noirs sont parmi les objets les plus mystérieux et les plus fantasmatiques de notre Univers. Ces noyaux d'étoiles mortes rassemblent tous les extrêmes, en terme de masse, de taille, de densité, etc ... Ces monstres gravitationnels, théoriques puisque nous n'avons jamais pu les observer directement, existent pourtant bel et bien. Ils ont beau tout attirer sur leur passage, y compris la lumière, on sait aujourd'hui détecter leur présence par des moyens détournés. Il n'en reste pas moins que ce qui se passe au coeur d'un trou noir restera pour toujours inaccessible à nos yeux, et peut-être même à notre compréhension ...
Souvent représentés de façon très imaginatives à travers les œuvres de sciences fictions, les trous noirs sont parmi les phénomènes célestes les plus mystérieux et les plus mal maîtrisés par la connaissance humaine, en opposition à leur notoriété pourtant planétaire pour le grand public. Tout le monde connaît les trous noirs, sans pour autant pouvoir en donner une définition constructive ni même sensée. Les trous noirs sont également sources de fantasmes car ils sont par définition invisibles, une belle image existe notamment quant à la tentative de détection de ces astres : Chercher un trou noir, c’est tenter de discerner une tache noire sur un fond noir…
La théorie sur l’existence des trous noirs trouve son origine au XVIIIème siècle, lorsque Pierre Simon Laplace évoque l’existence de « corps obscurs aussi considérables, et peut-être en aussi grand nombre que les étoiles. Un astre lumineux de même densité que la Terre, dont le diamètre serait deux cent cinquante fois plus grand que celui du Soleil, ne laisserait en vertu de son attraction, parvenir aucun de ses rayons jusqu’à nous ; il est donc possible que les plus grands corps lumineux de l’Univers soient par cela même invisibles » (Luminet, 1796). Malheureusement pour lui, cette théorie était elle-même basée sur la théorie corpusculaire de la lumière élaborée par Isaac Newton.
Or, à cette époque, on croit à la nature ondulatoire de la lumière démontrée par Christiaan Huygens. Une onde n’étant pas sensible à la gravité, l’idée de trou noir est alors abandonnée.
Ce n’est que grâce à la théorie de la relativité d’Albert Einstein, théorie décrivant la courbe de l’espace-temps par la matière, que le modèle de trou noir sera réintroduit en physique.
Comment se forme un trou noir ? Avant toute chose il est important de préciser que les trous noirs sont des conceptions théoriques et mathématiques découlant directement de la théorie de la relativité générale d’Einstein, et que, même si leur existence est reconnue et admise par la grande majorité de la communauté scientifique, aucun spécimen n’a pas pu clairement être observé jusqu’à présent… La présence d'un trou noir ne peut-être révélée qu'indirectement : Par les émissions de rayons X de la matière capturée, ou alors par le comportement excentrique d'une étoile compagnon, ou bien encore par les expulsions de jet de plasma (visibles dans les ondes radio) occasionnées par des changements brutaux de champ magnétique au sein du disque d'accrétion entourant le trou noir.
Il existe différentes sortes de trous noirs : notamment les trous noirs stellaires et les trous noirs galactiques. Les trous noirs stellaires étant de loin les plus représentés dans l’Univers (ils seraient environ 1 million dans notre galaxie), ce sont eux dont nous détaillerons l’origine et la formation.
Un trou noir est la conséquence de l’effondrement gravitationnel d’une étoile massive en fin de vie. Au cours de sa vie, appelée séquence principale, une étoile brûle son carburant stellaire, afin de résister au poids de sa propre gravité et d’empêcher qu’elle ne s’effondre en son centre. Pour ce faire, l’étoile a recours à la fusion thermonucléaire qui, à des températures très élevées (de l’ordre de 15 millions de kelvins) font fusionner les atomes d’hydrogène par deux, engendrant un atome d’hélium et dégageant une énergie colossale, selon le principe d’équivalence énoncé par Einstein : E=mc². Energie qui permettra alors l’apparition d’une force répulsive permettant de lutter contre la gravité… En fait, une étoile est une titanesque bombe H en perpétuelle explosion, mais qui n’a rien à voir avec celles que les hommes sont capables de fabriquer, puisque par exemple le Soleil est capable de fusionner des tonnes de matières par seconde ; pour schématiser sachons que toute l’énergie consommé sur le territoire des Etats-Unis en une année est libérée par fusion nucléaire en une seconde par le Soleil !
Il arrive forcément un moment où ce carburant d’hydrogène vient à manquer, pourtant si grande que l’étoile puisse être. Celle-ci doit alors puiser son hydrogène dans ses couches extérieures et gonfle alors de façon démesurée : elle devient une géante rouge. C’est également ce qui arrivera à notre Soleil dans 5 milliards d’années, et pour donner une idée de la taille d’une géante rouge, il suffit de s’imaginer que son diamètre atteindra alors l’orbite terrestre ! Une fois la fin de l’hydrogène consommée, puis l’hélium, 3 choix s’offrent à l’étoile pour mourir… Choix déterminés dès le départ par la masse de l’étoile.
- Soit l’étoile est d’une masse identique à notre Soleil, comprise entre 1 et 1.4, et alors elle expulsera sans violence sa matière stellaire dans l’espace, laissant seule rescapée une naine blanche.
- Soit sa masse est comprise entre 1.4 et 3.2 masses solaires, l’étoile explosera en supernova et son noyau, d’une densité bien plus importante qu’une naine blanche, deviendra une étoile à neutrons.
- Soit sa masse est supérieure à 3.2 masses solaires, et alors le noyau, après explosion de l’étoile en supernova, s’effondrera avec une telle densité qu’il deviendra un trou noir. Le phénomène d’effondrement en trou noir est une victoire totale de la gravitation, car plus rien ne peut freiner l’effondrement de la matière, qui se contracte jusqu’à une densité infinie, une température infinie, le tout en un point unique de l’espace : on appelle cela une singularité finale.
C’est la théorie de la relativité générale d’Einstein qui prédit l’existence de tels monstres célestes. Pour comprendre de façon simple ce que nous dit cette théorie, il suffit de se représenter la gravitation non pas comme une force, mais comme une courbure du tissu espace-temps. Il existe un exemple célèbre et simpliste qui permet de se représenter facilement le phénomène de courbure de l’espace-temps. Prenons un drap tendu, qui représente les 3 dimensions d’espace + celle du temps. Déposons sur ce drap une boule de pétanque, celui-ci se courbe sous le poids de la boule et tout corps qui se déplacera à proximité se verra attiré par la boule et tombera dans le trou créé par la boule. La boule crée donc un trou, une dépression au sein du drap, et plus son poids est important et plus le trou est profond, alors imaginez une boule d’une densité infinie…
Même la lumière, qui pourtant n’a pas de masse (les grains de photons sont de masse nulle), se verra attirée dans le puits sans fond. Elle, qui prend toujours le chemin le plus bref entre deux points (principe de Fermat), sera incurvée par le trou noir parce que c’est l’espace-temps lui-même qui est incurvé. En fait, elle va tout droit, mais dans une structure courbe. C’est en fait comme un homme qui déciderait de marcher toujours tout droit sur la Terre : Il aurait l’impression d’aller toujours tout droit et pourtant, la Terre étant ronde et non plate, il effectuerait un cercle !
La lumière même ne peut donc s’échapper d’un trou noir, c’est d’ailleurs pour cela qu’on l’appelle ainsi, car on ne peut l’observer puisqu’il n’émet pas de lumière. On dit que c’est un corps noir parfait, il capte toutes les radiations mais n’en émet aucune. Le terme « trou noir » fut proposé par le physicien John Wheeler, en 1967, pour décrire une concentration de masse si importante que même les photons ne peuvent se soustraire à sa force gravitationnelle. Sur Terre, la vitesse de libération nécessaire pour s’affranchir de la force de gravité de la planète, est de 11 km/s. Sur le Soleil, la vitesse de libération est de l’ordre de 620 km/s.
Sur un trou noir, cette vitesse de libération est supérieure à la vitesse de la lumière, s'échapper est donc impossible, puisque la relativité nous dit que rien dans l’Univers ne peut se déplacer plus vite que la lumière ! Voici donc une explication de l’impossibilité pour un corps, quel qu’il soit, de s’échapper d’un trou noir.
Le seuil critique, point de non retour, d’où la lumière ne peut s’échapper s’appelle l’horizon des évènements. Si nous imaginons le trou noir comme une boule noire, c’est en fait l’horizon à partir duquel la lumière disparaît que nous voyons, puisqu’un trou noir n’a pas de surface. L’horizon n’est que la limite à partir de laquelle la lumière reste prisonnière du puits gravitationnel. Le rayon de cet horizon des évènements s’appelle rayon de Schwarzschild.
Il est important de comprendre que le rayon de Schwarzschild est un rayon qui est universel pour tout corps, car n’importe quel corps dans l’univers pourrait devenir un trou noir, y compris votre propre corps, pour peu qu’on le contracte jusqu’à la densité critique. Ce rayon détermine le volume que le corps doit occuper pour retenir la lumière en vertu de son attraction gravitationnelle.
Par exemple, le rayon de Schwarzschild du Soleil est de 2.9 kilomètres, alors que celui de la Terre est de 8 millimètres ! Mais n’ayez pas peur, de tels niveaux de compressions n’existent nulle part dans l’Univers, hormis bien sûr dans les trous noirs. Rapidement, voici comment calculer le rayon R de Schwarzschild d’un corps : Il suffit d’écrire que la vitesse de libération est plus grande que C, de définir la masse de l’astre central comme M, et G la constante de gravitation : l’équation s’écrit donc ainsi : R=GM/C². Un corps devient ainsi un trou noir lorsque sa taille est inférieure ou égale à son rayon de Schwarzschild, on appelle « paramètre gravitationnel » le rapport du rayon de Schwarzschild sur le rayon réel. Ce paramètre mesure la densité de l’objet et est, pour les objets courants, très inférieur à 1. Plus il est dense et plus il se rapproche de 1.
Lors de l’effondrement de l’étoile, lorsque la densité devient quasi infinie, les atomes et même les particules élémentaires sont broyés en une sorte de magma sans forme ni structure et le temps même cesse de s’écouler. Selon les équations, le fond d’un trou noir, la singularité, est alors un point mathématique et non plus physique, de densité et température infinie. Cela semble n’avoir aucun sens et c’est peut-être bien le cas, car ce résultat montre en réalité que la relativité générale ne fonctionne plus à ce niveau. Pour comprendre le phénomène de singularité, il serait nécessaire de créer une théorie d’unification des forces (gravitation, électromagnétique, nucléaire forte et nucléaire faible), de même que pour expliquer l’instant zéro de l’univers (où l’on parle également de singularité). A l’heure actuelle, la physique (relativiste ou quantique) ne sait pas répondre à la question des singularités.
Nous avons dit que le temps cessait de s’écouler à l’approche de la singularité, cela signifie concrètement qu’un objet tombant dans le trou noir, à la frontière de l’horizon, semblera, vu de l’extérieur, chuter indéfiniment. Ceci est une conséquence de la déformation quasi–infinie de l’espace-temps résultant de la formidable densité du trou noir. Toute l’information est alors perdue, même la lumière, tout… Sauf la masse, le moment angulaire, et la charge électrique.
Il convient de préciser qu’un trou noir n’est pas, comme on pourrait le croire en regardant les films hollywoodiens, un « aspirateur cosmique » qui avale à grande échelle des portions entières d’espace… Il ne va capturer que ce qui passe très près de lui. Pour schématiser, si on remplaçait notre Soleil par un trou noir de même masse, nous ne verrions aucune différence en terme de gravité !
Pour pallier au problème de la singularité, la relativité permet d’envisager l’existence d’anti-trous noirs, qu’on a ainsi nommé « fontaines blanches » par opposition. Il s’agirait en fait de la symétrie inversée du trou noir, une sorte de porte de sortie pour la matière qui s’engouffre dans le puits sans fond.
Nous entrons alors dans un domaine où c’est essentiellement l’imagination qui œuvre, et non les calculs ou les observations. On pourrait alors supposer que les deux extrémités de ces puits communiqueraient via des « trous de vers » … Sortes de passages à travers l’espace-temps qui font fantasmer bon nombre d’amateurs de science fiction, plus que de théoriciens il faut dire … Car cette hypothèse semblent ne pas être très crédible, puisqu’en fait il remet finalement en cause le principe de singularité du trou noir. Cependant, dans le cas où les trous de vers seraient une réalité, il serait bien vain de s’imaginer voyager à travers l’espace-temps puisque au préalable les atomes de chaque corps qui emprunterait le passage se verraient broyer par la gravité.
Néanmoins, cette théorie des trous de vers à au moins le mérite de faire réfléchir, notamment sur le big-bang (notre Univers serait-il finalement issu d’une fontaine blanche ?) et sur les Univers parallèles (Multivers, ou Univers bulles)…
Nous savons que les trous noirs existent car la relativité en prédit l’existence. Pourtant, leur nature même ne nous permet pas de les observer puisqu’ils emprisonnent tout rayonnement … D’où une certaine frustration pour les amoureux du ciel ! Si nous ne pouvons les voir, comment pouvons nous détecter leur présence ?
Il faut alors avoir recours à des méthodes indirectes, un peu comme pour observer les planètes extrasolaires.
Si le trou noir est seul, on peut en détecter la présence en observant des mirages gravitationnels, c’est-à-dire l’image déformée d’un astre se trouvant derrière lui et dont la lumière a été gravement déformée lors du passage près du trou noir (effet de lentille gravitationnelle), avant d’arriver jusqu’à nous.
Si le trou noir fait partie d’un système binaire d’étoiles (la moitié des étoiles de la galaxie font partie d’un système binaire), deux méthodes de détection sont possibles.
Il s’agit tout d’abord de détecter de légères perturbations dans le mouvement de l’étoile visible, dues à la force d’attraction du trou noir, ce qui permet de déterminer la masse de celui-ci. Ensuite, la présence d’un disque d’accrétion autour du trou noir va provoquer une intense émission dans le domaine des rayons X, avec des variations très rapides. Ces variations très rapides trahissent la très petite taille de l’astre central. Plus on examine le disque d’accrétion auprès de l’astre, et plus le rayonnement X se décalera vers les basses fréquences, à cause du gaz chaud qui circule.
Le disque va ainsi apparaître de plus en plus rougi et faible au fur et à mesure qu’on approchera du centre. Evidemment, s’il s’agit bien d’un trou noir, le rayonnement disparaît dès lors que le gaz franchit l’horizon, en même temps que la luminosité, contrairement à une étoile à neutrons où le centre serait très lumineux. Cette expérience a déjà été validée par le télescope spatial Chandra, opérant dans le domaine des rayons X, qui a observé des émissions en rayons X de novae qui se sont révélées cent à mille fois plus faibles que d’autres, ce qui tend donc à démontrer l’existence des trous noirs.
Nous avons rapidement évoqué ci-dessus que seuls trois informations pouvaient nous parvenir d’un trou noir : sa masse, sa charge électrique et son moment angulaire (rotation) ... Grâce à cela, nous sommes en mesure de distinguer différentes sortes de trous noirs.
Ce modèle de trou noir n’existe probablement pas dans la nature, car c’est le modèle le plus simpliste, idéalisé dirons nous. Il est néanmoins théoriquement possible et utile car permettant d’aborder les concepts de trous noirs de la manière la plus facile.
Que se passe-t-il pour un observateur s’approchant du trou ? Dans un premier temps, il va subir des forces de marées générées par la différence de valeur de la gravitation entre deux points qui ne sont pas à la même distance du corps massif qui l’attire. Nous les subissons également sur Terre mais elles sont insignifiantes, ce qui n’est pas le cas aux abords de l’horizon d’un trou noir ! En regardant un objet s’approchant du trou noir, notre observateur verra que la lumière émise par l’objet va se décaler vers les grandes longueurs d’onde par effet de redshift gravitationnel (sorte d’effet Doppler dû à la gravitation). Plus l’objet s’approchera de l’horizon et plus la longueur d’onde s’allongera jusqu’à tendre vers l’infini. Le temps ralentissant lui aussi, l’observateur va voir l’objet tomber vers le centre sans jamais l’atteindre, avec un rayonnement de fréquence de plus en plus faible.
En continuant sa descente, notre observateur arrivera à hauteur de la sphère des photons.
Autour d’un corps massif, un objet peut se satelliser pourvu qu’il se déplace à une vitesse suffisamment importante pour compenser la gravité exercée sur lui, à l’altitude à laquelle il se trouve. L’exemple le plus simple, c’est la Lune : Si elle est maintenue dans le ciel, c’est grâce à sa vitesse de déplacement qui crée la force centrifuge nécessaire à sa satellisation ; autrement dit, si elle se déplaçait plus lentement, elle s’écraserait sur Terre. Et à l’inverse si sa vitesse était trop rapide, elle s’échapperait de son orbite pour errer dans le système solaire … Ainsi, plus un corps est bas et plus il doit aller vite. Autour d’un trou noir, la gravité est telle qu’il existe une altitude où la vitesse de satellisation est égale à celle de la lumière : c’est la sphère des photons. En effet, seuls les photons atteignent cette vitesse.
Après avoir franchi cette sphère, notre observateur va traverser l’horizon des évènements. A ce stade, il franchi un point de non retour. A cet instant, il y a permutation de l’espace et du temps : ce qui était devant l’observateur devient son futur, cela signifie qu’il ne peut rester immobile et qu’il n’a aucun moyen de ne pas se précipiter dans la singularité. Celle-ci est dite de type spatial.
La principale différence avec le trou noir de Schwarzschild, c’est que celui-ci est électriquement chargé. La solution de Schwarzschild n’est donc plus valable.
Nous venons juste de voir qu’en franchissant l’horizon, il se produit une permutation de l’espace et du temps, et bien cette fois-ci elle se produit deux fois. En franchissant le deuxième horizon dit « intérieur » (ou aussi horizon de Cauchy), l’espace et le temps reprennent ici leur propriété, et il devient alors possible d’éviter la singularité, qui est dite de type temporel. Plus le trou noir est chargé et plus les deux horizons se rapprochent, et s’il est suffisamment chargé, les deux horizons disparaissent, seule reste la singularité « nue ».
Apparemment, cette éventualité reste sceptique aux yeux de nombreux scientifiques qui pensent que cela n’est pas possible, l’Univers s’appliquant une sorte d’autocensure*. Ce trou noir est également étudié comme étant un modèle, aucun n’a pu être observé et surtout il semble peu vraisemblable qu’il en existe dans l’Univers, car l’étoile qui lui donnerait naissance aurait du être elle-même chargée électriquement, ce qui semble difficile à concevoir.
* principe de censure cosmique : Si la vitesse de rotation du trou noir est suffisamment importante, les deux horizons se rapprochent jusqu’à fusionner et disparaître, laissant la singularité nue. On peut alors appliquer le principe de censure cosmique de Roger Penrose. Derrière un horizon des évènements, la singularité est isolée de notre Univers et n’interagit pas avec lui. Lorsqu’elle devient nue, cela lui est possible. Une singularité non entourée d’un horizon des évènements devient alors le passé de certains points de l’espace-temps. La présence de courbes fermées de genre temps n’est plus impossible, situation qui autorise une violation de la causalité. C’est-à-dire que notre observateur pourrait remonter le temps …
C’est le modèle le plus réaliste, collant le mieux à la réalité, car dans ce modèle, l’étoile qui lui donne naissance est en rotation.
Le nom de Kerr vient du mathématicien Roy Kerr (Nouvelle Zélande) : Il est le premier à avoir, en 1963, résolu des équations de la relativité générale au voisinage d’une masse en rotation.
Il résulte de cette rotation de l’astre un mouvement rotatoire de l’espace-temps lui-même, une sorte de déformation due à la masse du trou noir. C’est un effet qui se produit également autour de la Terre et de toutes les planètes et étoiles, mais dans des proportions moindres, négligeables. Ce qui n’est pas le cas avec un trou noir. Du fait de l’espace-temps en rotation, notre observateur va cette fois-ci observer deux sphères des photons, sous forme d’ellipse. Selon que les photons du plan équatorial orbitent ou non dans le sens rotatoire du trou noir, ils se situent sur l’une ou l’autre sphère. Par contre, aux pôles, les deux sphères se confondent. Plus la vitesse de rotation du trou noir est grande et plus l’éloignement entre les deux sphères est important.
En se rapprochant du trou noir, notre observateur va pénétrer dans une région typique de ce modèle de Kerr : l’ergosphère. C’est une région délimitée par la limite statique à l’extérieur, et par l’horizon externe à l’intérieur, dans laquelle rien ne peut rester immobile.
La limite statique représente l’endroit en deçà duquel rien ne peut rester immobile en altitude, pas même en orbitant à la vitesse de la lumière. Elle est la conséquence de l’entraînement de l’espace-temps en rotation par le trou noir. A titre de comparaison, dans un trou noir de Schwarzschild, c’est l’horizon qui représente cette limite en deçà de laquelle rien ne peut résister à l’attraction de la singularité. Le trou noir de Kerr possède lui aussi deux horizons et provoquent une double permutation de l’espace et du temps. La singularité a la forme d’un anneau, et elle devient répulsive si on l’approche autrement que par son équateur, ce qui semble très surprenant ; pourtant c’est bien le résultat des équations de la métrique de Kerr…
Il semble alors possible de sortir du trou noir, mais uniquement pour se trouver coincé dans un espace négatif ou pour se retrouver dans un autre univers, qui sait… On pourrait alors passer d’univers en univers via les trous noirs, ce qui rejoint l’idée de trous de vers et de fontaines blanches. Dans cette éventualité, il n’est pas impossible que notre Univers soit replié sur lui-même, et que les passages entre trous noirs propagent la matière en différents endroits de ce même Univers, ce qui exclurait la multiplicité des univers … Mais nous entrons une nouvelle fois dans des modèles hautement spéculatifs.
Cette force répulsive, sorte d’anti-gravité, engendre la présence d’une sphère des photons, entourant la singularité elle-même, à l’intérieur de l’horizon intérieur.
Dans la zone entre les deux horizons, la lumière va se trouver infiniment décalée vers le bleu, puisque avant de tomber dans l’horizon extérieur notre observateur voyait la lumière décaler infiniment vers le rouge. On peut considérer que le redshift gravitationnel à l’approche de l’horizon correspond à un transfert de l’énergie des photons en énergie gravitationnelle. Et vice-versa de l’autre côté de l’horizon. Dans cette zone, l’observateur baigne donc dans une mer de radiations gamma.
Tous ces schémas et modèles sont très théoriques, et ne sont d’ailleurs basés que sur la théorie. En particulier, rien que la présence de notre observateur dans le trou noir de Kerr (sensé être entouré de vide absolu) suffirait à déstabiliser le trou noir, ce qui rendrait ce genre de voyage bien improbable.
Pour avoir une vision plus représentative de ce que sont réellement les trous noirs, il faudrait une théorie plus solide qui permette de décrire autant la gravitation que la singularité, concept faisant plutôt appel à la mécanique quantique : cette théorie n’existe pas à l’heure actuelle et pourtant elle a déjà un nom : théorie de gravitation quantique.
D’autres modèles théoriques d’unification des forces (superforce, théorie des cordes), plus ou moins abouties, existent déjà afin de répondre essentiellement aux questions de big-bang et temps de Planck … Mais aucune n’emporte l’adhésion auprès de la communauté scientifique et on semble aujourd’hui assez incapable d’élucider clairement les problèmes de singularités.
Finalement, les trous noirs apportent beaucoup plus de questions qu’ils n’apportent de réponses …
Par exemple : Où passe l’information lorsqu’une particule tombe dans le trou noir ? Nous avons vu que seuls trois informations peuvent émaner d’un trou noir : la masse, la charge et son moment angulaire. Pourtant, un corps possède beaucoup plus d’information, et notamment l’entropie (contraire de l’information), sorte de mesure de son désordre. Lorsqu’une particule perd son entropie au fond d’un trou noir, cela viole le second principe de thermodynamique qui dit que cette entropie ne peut que croître au sein d’un Univers fermé. Or l’Univers est bien fermé puisque rien ne peut s’y échapper par définition ! On sait que la surface de l’horizon d’un trou noir ne peut décroître. En faisant l’analogie entre cette surface qui ne peut que croître et l’entropie qu’il a ingurgité, alors le second principe est sauvé. Néanmoins, cela engendre un nouveau problème : Si le trou noir a assimilé l’entropie de la matière qu’il a avalé, alors il doit également posséder une température. Et tout corps possédant une température est capable de rayonner de l’énergie selon un spectre correspondant à cette température. Et on sait très bien maintenant qu’aucun rayonnement ne peut s’échapper d’un trou noir … De là à dire que le trou noir est l’exception qui confirme là règle, c’est bien trop facile ! Nous voyons donc là toute la complexité du problème …
Mais la science ne baisse pas les armes si facilement et semble capable d’apporter des éléments de réponse à ce genre de dilemme.
Dans les années 60, le physicien Roger Penrose proposa un moyen d’extraire de l’énergie d’un trou noir de Kerr.
Dans l’ergosphère, il est possible sous certaines conditions qu’une particule se scinde en deux, et que l’une des deux particules résultantes tombe vers le centre avec une énergie négative et que l’autre s’échappe de l’ergosphère. Il semble alors que l’énergie de la particule sortante ait augmenté, ce qui signifierait que celle du trou noir lui-même est diminué d’autant. Cela n’est possible que dans le cas d’un trou noir en rotation car, sans rotation, pas d’ergosphère. On estime alors que l’énergie théoriquement extractible d’un trou noir en rotation est de 29% maximum. Finalement, d’une certaine façon, tout ne semble pas si prisonnier d’un trou noir que cela…
On sait, quand on parle du vide, que celui-ci n’est pas si vide que cela, ou plutôt il est même tout sauf vide !! En effet, il s’y passe constamment des combinaisons des paires particules/antiparticules (dites particules virtuelles) d’une durée de vie infinitésimale (un peu comme lors des grandes annihilations de matière lors des premiers instants de l’univers), l’une possédant une énergie positive et l’autre négative, de manière à ce que l’énergie totale soit toujours constante. C’est le principe d’incertitude d’Heisenberg qui nous décrit cela : on appelle ce phénomène « fluctuations du vide quantique ».
Ce phénomène peut alors très bien se produire au sein d’un trou noir. Imaginons qu’une particule possédant une énergie négative tombe derrière l’horizon avant que son antiparticule (chargée positivement) ne la rencontre, la particule restante peut s’éloigner du trou, et elle deviendra réelle. Elle apparaîtra alors, aux yeux de notre infatigable observateur, comme émanant du trou noir ! Bien sûr, au passage, cette particule a emporté de l’énergie avec elle, énergie qui manquera désormais au trou noir.
Seul ce scénario est possible et non l’inverse, car une particule chargée négativement ne peut exister dans notre Univers.
On voit donc à grande échelle une forme d’évaporation du trou noir, le calcul de cette évaporation montre alors que le trou noir possède un spectre de rayonnement thermique caractéristique d’un corps noir. Ce rayonnement a été découvert par Stephen Hawking, le plus éminent physicien contemporain, en 1972. Cette évaporation, longtemps insoupçonnée, amène à une autre conclusion : les trous noirs ont une durée de vie limitée dans le temps. Durée de vie qui dépend évidemment de sa masse, par exemple un trou noir de 6 masses solaires vivra 2x1068 années. Il faut savoir que la température augmente lorsque sa masse diminue, ce qui signifie que lorsque le trou noir s’est évaporé, la température tend vers l’infini et il est alors sensé se produire une titanesque explosion. Cependant les connaissances actuelles en physiques ne sont pas capables de répondre clairement à ce qui se passe à cet instant précis…
Nous avons du vu que la perte d’entropie du trou noir due à sa perte de masse et immédiatement compensée par l’accroissement de l’entropie du rayonnement thermique généré, ce qui permet une non violation du second principe de la thermodynamique.
Comme nous l’avons compris, on peut détecter un trou noir grâce à l’intense courbure spacio-temporelle qu’il engendre à sa périphérie, qui se traduit par l’observation de mirages gravitationnels, et par l’accrétion d’un disque de matière autour de l’horizon des évènements. L’observation est plus aisée lorsque le trou noir fait partie d’un système binaire d’étoiles, avec un compagnon qui lui fournit continuellement de la matière à ingurgiter.
Lorsque le trou noir se trouve au centre d’une galaxie, le même phénomène d’accrétion se produit, mais à une échelle bien plus importante : l’accrétion de matière est alors le moteur de réactions nucléaires qui convertissent la matière en énergie (selon le principe d’équivalence d’Einstein E=mc²), rendant ces trous noirs gigantesques responsables de l’intense activité observée au cœur de certaines galaxies, notamment les quasars. On pense que chaque galaxie possède un trou noir supermassif en son cœur, y compris la Voie Lactée. Rendons-nous bien compte que ces trous noirs gigantesques sont de l’ordre de plusieurs millions de masses solaires.
Il existe trois hypothèses, qui ne sont pas incompatibles entre elles, concernant la formation de ces trous noirs galactiques :
- Certains de ces trous noirs seraient des trous noirs primordiaux, qui sont nés quelques instants seulement après le Big Bang (modèle introduit par Stephen Hawking).
- D’autres trous noirs auraient en fait la même origine que les trous noirs stellaires, leur importance résultant finalement de leur propension à grossir par accrétion.
- Enfin, la troisième hypothèse concerne la formation directe d’un méga trou noir par effondrement gravitationnel d’un amas stellaire tout entier.
Ces deux dernières hypothèses nécessitent alors bien sûr beaucoup de matière, ce qui expliquerait que les trous noirs galactiques se situent au cœur des galaxies, là où la matière est concentrée dans un relatif petit volume. Ceci n’est pas forcément toujours exact, puisque celui que possède la Voie Lactée semble décalé de 300 années-lumière du centre galactique, orbitant autour du point de gravité.
« Notre » trou noir serait grand de 3 milliards de kilomètres (équivalant à l’orbite de Saturne), ce qui semble finalement assez compact pour un trou noir supermassif. Il doit faire plusieurs masses solaires et est en accrétion lente. Son observation n’est pas aisée, et est notamment rendue difficile à cause des importants nuages de gaz qui se trouvent dans les bras de la galaxie et qui nous obstruent la vue du centre galactique.
Nous ne pouvons donc pas observer dans le domaine optique. Heureusement, les ondes radios, les infrarouges et les rayons X parviennent jusqu’à nous. On peut donc observer une région du centre, gros d’une trentaine d’années lumière, et observer une source d’ondes radio, appelée Sagittarius A Ouest. Ce signal est en fait une superposition de deux sources : l’une est thermique (rayonnement d’un gaz chaud) et l’autre est une source radio (rayonnement d’électrons se déplaçant à des vitesses proches de celle de la lumière) appelée rayonnement synchrotron.
Pour conclure, on peut dire que nos connaissances sur les trous noirs sont certainement encore très éloignées de la réalité, ce qui finalement n’est pas si anormal puisqu’ils sont sérieusement étudiés depuis moins d’un siècle. Ils resteront donc encore longtemps des astres abstraits, spéculatifs et uniquement théoriques, continuant d’alimenter les fantasmes des hommes … On peut d’ailleurs leur trouver ici une certaine utilité, puisque les progrès de la science sont autant faits par l’imagination des scientifiques que par leur capacité de raisonnement.
Les trous noirs, comme l’Univers tout entier d’ailleurs, nous font notamment rêver à la possibilité de voyager dans des endroits inaccessibles via des trous de vers et ainsi de contourner le problème de la limite de la vitesse de la lumière, et donc du temps, voire même de voyager dans des univers parallèles. L’imagination de l’homme est sûrement bien plus fertile que ne l’est réellement la nature ; mais c’est grâce à elle que nous avançons constamment à petits pas, dans un Univers où, jusqu’à preuve du contraire, rien n’est impossible.