10 questions à Arnaud Cassan sur la découverte de la première exoplanète tellurique de l'histoire : OGLE-2005-BLG-390Lb. Cette planète a été découverte en Août 2005 par l'équipe de Jean-Philippe Beaulieu : le projet PLANET (Probing Lensing Anomalies NETwork), dont fait partie Arnaud Cassan ... Découverte effectuée au moyen d'une technique d'avant garde en exoplanétologie : la technique dite de microlentille gravitationnelle, utilisant le principe de courbure de l'espace-temps de la Relativité générale au moment d'un transit entre deux étoiles !
Propos recueillis en Janvier 2006 ...
- Arnaud CASSAN, vous êtes astrophysicien à l’Institut d’Astrophysique de Paris et à l'Astronomisches Rechen-Institut Heidelberg, et vous faites partie de l’équipe ayant réussi l’exploit de découvrir, le 10 Août 2005 une planète extra-solaire un peu spéciale : la première planète tellurique de l’histoire, baptisée OGLE-2005-BLG-390Lb. Dans un premier temps, pouvez-vous nous présenter la fonction qui est la vôtre au sein du projet Planet (Probing Lensing Anomalies NETwork), dirigé par Jean-Philippe Beaulieu ?
Depuis plus de trois ans, je participe à l'aventure PLANET, avec pour objectif de trouver des planètes extra-solaires ayant des caractéristiques complémentaires de celles pouvant être obtenues par l'utilisation d'autres moyens d'observation. J'ai ainsi participé au suivi des microlentilles gravitationnelles dans des observatoires situés au Chili, en Australie et en Afrique du Sud.
Mon principal sujet d'activité a cependant résidé dans l'élaboration de modèles visant à analyser les données collectées aux télescopes, afin de déterminer la nature des événements détectés. Cette étape est cruciale, car la méthode permet indirectement de remonter aux paramètres physiques, et il faut être sûr de la validité et de l'unicité du modèle proposé (ici un système étoile-planète).
- Jusqu’à présent, la quasi-totalité des planètes extra-solaires a été détectée par l’observation des variations de luminosité d’une étoile ou des mouvements de celle-ci, s’exprimant par des oscillations périodiques dues au passage de la planète devant l’astre. Votre découverte repose sur le phénomène dit de “microlentille gravitationnelle” : pouvez-vous nous en dire plus sur son principe et son fonctionnement, et en quoi diffère-t-elle des techniques sus-citées ?
Notre galaxie, la Voie Lactée, ressemble à un disque épais, avec au centre une région de forme sphérique à forte concentration d'étoiles, appelée le “bulbe”. Le Système Solaire avec la Terre se trouve plutôt à la périphérie du disque. Or, de temps en temps il arrive qu'une étoile située entre nous et le centre galactique croise la ligne de visée d'une des très nombreuses étoiles du bulbe. Et c'est là qu'intervient le phénomène de “microlentille gravitationnelle” : au voisinage de l'étoile d'avant-plan (la “microlentille”), les rayons sont courbés selon la théorie de la Relativité Générale d'Einstein, ce qui s'accompagne en particulier d'une amplification de la lumière qui nous parvient de l'étoile d'arrière-plan.
L'étoile d'avant-plan joue alors un rôle tout à fait similaire à une lentille optique, ce qui justifie son nom. Les télescopes mesurent alors la courbe de lumière de l'étoile d'arrière plan, dont l'intensité croît au cours du temps pour atteindre un maximum, puis redécroît ensuite pour retourner à sa valeur d'origine. Que se passe-t-il à présent si la microlentille n'est pas une étoile isolée mais un système planétaire ?
La perturbation gravitationnelle induite par la présence de la planète peut dans certains cas produire un deuxième maximum dans la courbe de lumière : s'il est possible de mesurer avec précision les paramètres de cette “bosse”, alors on peut remonter aux paramètres physiques de la planète. C'est ce que nous avons réussi à observer et à modéliser pour la découverte de la nouvelle planète extra-solaire.
Son originalité vient du fait qu'on ne cherche pas à observer directement la planète, mais les perturbations qu'elle provoque sur la lumière provenant d'une étoile plus éloignée, qui tient alors le rôle de “torche cosmique” éclairant “par derrière” les systèmes planétaires.
- OGLE-2005-BLG-390Lb : pouvez-vous nous “décoder” le nom attribué à cette nouvelle planète ? Quelle en est la signification ?
Dans les premiers temps de l'Astronomie, donner des noms aux objets astronomiques ne posait pas de problème, car ces derniers étaient peu nombreux et facilement identifiables ; c'est le cas de Vénus ou des Pléiades par exemple.
Avec l'arrivée des premiers instruments astronomiques, le nombre d'objets s'est considérablement accru, et il a bien sûr fallu imposer quelques règles de manière à s'y retrouver, et loin d'être de simples codes, les noms contiennent des informations liées à leurs caractéristiques.Dans le cas de la planète que nous avons mis au jour, le début de son nom signifie que la microlentille (la 390ème) a été détectée par la collaboration OGLE (bien avant qu'un quelconque signal planétaire ne fut encore apparu) en 2005, en direction du “bulbe” (BLG comme “bulge” en anglais) de notre galaxie.
Le “L” (comme “Lentille”) précise que la planète a été découverte autour de l'étoile qui fait office de microlentille, et non autour de l'étoile d'arrière-plan.
Enfin, depuis la découverte de la première exo-planète 51 Peg b, les astronomes ont convenu d'attribuer des lettres minuscules, en commençant par “b”, pour désigner des compagnons planétaires aux étoiles : “b” nous dit qu'il s'agit de la première planète détectée (“c” si on avait trouvé un autre compagnon, etc.).
Il appartient aujourd'hui à l'International Astronomical Union (IAU) de statuer sur la dénomination des astres. Est-il toutefois possible de donner un nom plus parlant aux exo-planètes, à la manière des objets du catalogue Messier (M31 désigne ainsi la galaxie d'Andromède) ?
Il n'existe pas actuellement de règle stricte, et un nom particulier pourrait très bien être choisi : soit ce dernier s'impose naturellement, sinon... on conserve le nom officiel !
- Cette découverte s’inscrit-elle dans une période charnière de l’exo-planétologie ?
Oui, d'une certaine manière, elle s'inscrit dans une évolution des sciences exo-planétaires. Mais elle n'en est pas la seule responsable. La quête des exo-planètes a pris un réel envol il y une dizaine d'années, lorsque M. Mayor et D. Queloz ont découvert la première exo-planète autour d'une étoile similaire au Soleil. Depuis, la technique des vitesses radiales utilisée pour cette découverte capitale nous a beaucoup appris sur l'abondance et les caractéristiques des exo-planètes autour des étoiles similaires au Soleil.
Mais les étoiles de ce type sont loin d'être les plus abondantes, et depuis très récemment, la recherche s'oriente vers la détection (programmes d'observations) et la caractérisation (simulations numériques) des exo-planètes autour des étoiles de bien faible masse, qui représentent la très grande majorité de la population stellaire Galactique.
- Cette planète est de fait en orbite autour d’une étoile naine rouge, donc faiblement lumineuse et peu chaude. Ces étoiles représentant 80% des étoiles de notre Galaxie, doit-on ainsi s’attendre à un “planète boom” dans les années qui viennent ?
Les caractéristiques des étoiles naines M, encore appelées naines rouges, en font en effet des objets très difficiles à détecter. Peu brillantes, elles deviennent rapidement invisibles aux détecteurs lorsque leur distance augmente, en particulier pour les mesures de leur spectre gourmandes en flux lumineux.
La quasi-totalité des exo-planètes détectées à ce jour a ainsi été trouvée autour d'étoiles semblables à notre Soleil, bien plus brillantes que les naines rouges. Un programme spécifique de mesure de vitesses radiales a débuté récemment (HARPS au Chili, utilisant un instrument de deuxième génération) pour mettre en évidence la présence de planètes autour des naines M. Les observations ont notamment permis la découvert en 2005 de la planète GJ876 d.
Malheureusement, cette méthode reste insensible exo-planètes de telles naines rouges lointaines. La technique de microlentilles permet quant à elle de contourner cette difficulté : puisque c'est la masse de l'étoile-hôte et non sa luminosité qui entre en jeu, sa distance n'est plus un problème. Et même mieux : le nombre de microlentilles dues à des naines rouges est proportionnel à leur abondance, ce qui signifie que presque toutes les planètes trouvées sont (et seront) en orbites autour de ce type d'étoiles.
Doit-on alors s'attendre à un “planète boom” ? En réalité, comme pour tout type d'observation, la technique possède une “efficacité de détection” qui lui est propre, et qui limite le nombre de découvertes potentielles. Il est probable que le rythme des découvertes reste à peu près identique (ou légèrement supérieur), en ce qui concerne ce type d'étoiles.
- L’existence de planètes telluriques situées au sein de systèmes extra-solaires est admise depuis longtemps au sein de la communauté scientifique. Néanmoins, votre découverte a-t-elle été une surprise pour vous-même ? Ou bien n’était-ce qu’une “formalité” à remplir, si l’on peut s’exprimer ainsi ?
L'idée d'une “formalité à remplir” est intéressante, car elle est révélatrice de la manière dont fonctionne actuellement un certain nombre de projets de recherches. A l'opposé des premiers astronomes qui braquaient leurs appareils vers les profondeurs des cieux constellés d'objets mystérieux, qu'ils tentaient alors de décrire, les programmes d'observations astronomiques modernes s'appuient fortement sur la simulation par ordinateur des phénomènes recherchés.
De cette manière, nous avons acquis depuis un certain nombre d'années la certitude que la méthode des microlentilles est sensible aux planètes extra-solaires, jusqu'à des masses comparables à celle de la Terre. Notre découverte, en plus de son grand intérêt lié aux caractéristiques mêmes de la planète (qui n'étaient quant à elles pas du tout “prévues” !) fournit la preuve définitive que les microlentilles sont capables de percer les secrets de planètes jumelles de la Terre.
Elle tient à présent une place de choix parmi les méthodes de recherche d'exo-planètes de faible masse.
- Parmi les projets de télescopes sensés faire progresser l’observation d’éventuels systèmes planétaires, on compte de nombreux projets spatiaux (Corot, GAIA, KEPLER, DARWIN, TPF, OWL…) Cela augure-t-il un avenir proche fertile en découvertes (présence de vie, photographies, composition atmosphérique, etc …) ? Ou n’en sommes-nous encore qu’aux balbutiements de l’exo-planétologie ?
L'avenir est très ouvert en ce qui concerne la recherche en matière d'exo-planètes, tant du point de vue observationnel que théorique. Pour ne développer que le premier, les deux projets européens COROT et GAIA, prévus pour 2006 et 2011 respectivement, devraient pouvoir mettre en évidence plusieurs dizaines de planètes telluriques et des centaines de Jupiter chauds, ces planètes massives en orbite très proche autour de leur étoile.
La NASA prévoit le lancement de KEPLER en 2007, qui devrait aussi permettre la détection d'une centaine d'exo-planètes de type Jupiter et de quelques dizaines de planètes terrestres.
Des projets ambitieux au sol (avec le VLT/VLTI européen par exemple) auront aussi très certainement leur mot à dire, et la perspective d'un télescope d'une centaine de mètres de diamètre (OWL) nous réserve à n'en pas douter un avenir palpitant.
- La question de la propagation de la vie dans l’Univers est inscrite en filigrane dans la recherche extra-solaire, elle en est même la principale cause.
Pensez-vous que cette découverte de la toute première planète tellurique extra-solaire (on parle même d’exo-Terre) serait en mesure d’apporter quelques éléments de réponse à ce sujet, quand bien même il est peu probable d’en apporter des preuves directes ? Quelle est votre intime conviction à ce propos ?
La recherche d'une vie extra-terrestre dans l'Univers est un sujet passionnant, qui est directement lié à la place qu'occupe l'être humain au sein du Cosmos. Naturellement, cette caractéristique très particulière place la recherche scientifique dans ce domaine à la frontière même entre connaissance objective et spéculations philosophiques.
Le célèbre astronome Camille Flammarion, vers la fin du XIXieme siècle, se déclare ainsi convaincu de la “pluralité des mondes habités”, enfreignant par là-même la sacro-sainte “rigueur scientifique” pour faire part de ses convictions profondes.
Ayant conscience de cette limite qui doit exister entre faits et convictions intimes, on peut dire que du point de vue scientifique, la découverte d'une planète terrestre nous apprend que des corps similaires à la Terre existent réellement. Et c'est un excellent point positif pour l'idée que la vie est chose commune dans l'Univers.
En revanche, elle ne nous apprend malheureusement rien de plus sur la vie elle-même en dehors de notre planète bleue.
- Parmi les informations rendues publiques, il apparaît que la planète, bien que située très loin de son étoile, aurait pu conserver sur une longue période de son histoire une importante chaleur en raison d’une puissante radioactivité interne, et aurait donc pu abriter un océan d’eau liquide sous une couche de glace externe.
On est donc tenté de la comparer à Europe, satellite de Jupiter, et bien que le conditionnel soit évidemment de rigueur, on ne peut s’empêcher de penser que la vie aurait pu y apparaître … Où est la part de réalité dans un tel fantasme ?
Une idée forte en “exo-biologie” (étude de la vie dans l'Univers) serait que l'eau est un élément essentiel à l'émergence et à la subsistance de la vie. Dans le Système Solaire, malgré les très grands espoirs portés vers Mars et ses canaux d'irrigation imaginaires, aucun signe avéré de vie (présente ou passée) n'a pu être mis en évidence.
Cependant un grand espoir réside encore dans les planètes glacées, tel le satellite Europe autour de Jupiter, qui ont la capacité d'abriter un océan d'eau liquide sous une épaisse couche de glace. Si la nouvelle exo-planète est selon toute probabilité formée de roches et de glace dans ses parties externes, certaines estimations semblent montrer qu'elle ne serait pas assez massive pour avoir pu maintenir durant assez longtemps de l'eau liquide.
Cette question est encore en suspens, et il n'est pas possible de conclure quant à la possibilité d'une vie sur une planète extra-solaire, aussi petite et similaire à la Terre soit-elle. En attendant de pouvoir directement détecter des signes de vie sur une exo-planète (mais dans combien de temps ?), une partie du voile sera certainement levée lorsque nous en serons plus sur les objets de notre propre Système Solaire.
- Que peut-on vous souhaiter pour l’année 2006 ?
La découverte de cette nouvelle planète extra-solaire nous conforte pour l'avenir de notre méthode. La détection, ne serait-ce que de quelques nouveaux candidats en 2006, pourraient ainsi fournir de précieuses informations quant à la plausibilité des divers scénarios de formation planétaire, dont certaines conclusions divergent encore, faute de données observationnelles permettant de les discriminer.
Et quelques nouvelles planètes extra-solaires telles OGLE-2005-BLG-390Lb seraient plus que bienvenues, et nous les attendons en tout cas de pied ferme !