Propos recueillis en Avril 2011 ...
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Hubert Reeves, vous êtes astrophysicien canadien, vous avez été conseiller scientifique à la NASA Institute for Space Studies, Directeur de Recherches au Centre National de la Recherche Scientifique. Vous êtes depuis de nombreuses années célèbre dans le monde entier pour vos actions de vulgarisation de l'astronomie auprès du grand public. Vous êtes notamment auteur de très nombreux ouvrages à grands succès (Patience dans l'azur, Poussières d'étoiles) ... Président depuis 2001 de la Ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage, vous êtes aujourd'hui devenu un porte parole de la cause écologique en France, et notamment de la défense de la biodiversité. Vous êtes également membre de France Nature Environnement et de l'Institut québécois de la biodiversité.
Vous nous livrez quelques mots sur l'impérieuse nécessité de protéger la biodiversité afin de sauvegarder notre planète pour les générations futures.
Vous avez consacré la plus grande partie de votre vie à l’astrophysique, et à la diffusion du savoir astronomique au grand public (vous êtes notamment l’initiateur de la fameuse « Nuit des étoiles »). La fin du XXème siècle a vu l’essor grandissant de l’astronomie amateur d’un côté, et de l’autre côté nos progrès technologiques ont permis aux professionnels de faire des découvertes révolutionnaires dans tous les domaines (exoplanétologie, théories sur l’histoire de l’Univers, compréhension et exploration du système solaire, etc …).
- Vivons-nous véritablement un âge d’or de l’astronomie sans précédent dans l’histoire ?
Hubert Reeves : Les premières observations du ciel par nos lointains ancêtres se faisaient à l'œil nu. Et l'on se dit qu'ils avaient la chance d'avoir une voûte céleste admirable de pureté. De nos jours, les pollutions, industrielles et lumineuses, handicapent les astronomes qui doivent fuir loin des villes pour retrouver un ciel observable.
A chaque époque, selon les possibilités des instruments mis à disposition des observateurs, il y eut des progrès. Pensons à la "révolution copernicienne" et à Galilée avec le perfectionnement de cet indispensable outil qu'est la lunette astronomique. Alors, bien sûr, nous avons maintenant télescopes et radiotélescopes et les observations se multiplient au fur et à mesure des améliorations qui leur sont apportées.
Ce qui est remarquable, c'est l'engouement du public pour l'astronomie, sans nul doute inégalé dans le passé. Alors pourquoi pas, en effet, utiliser cette expression "âge d'or" qui permet une démocratisation des observations.
- Que nous reste-t-il à découvrir et vers quelles cibles prioritaires devraient se concentrer les recherches ?
H.R. : Il y aura toujours quelque chose à découvrir ! Il faut se persuader que toute découverte ouvre sur de nouvelles questions, de nouvelles recherches. C'est ça la science : une perpétuelle quête de savoir. Il est difficile de prévoir quelles orientations découleront des prochains progrès. Cependant la recherche en astronomie est forcément l'objet de programmes, c'est une nécessité pour obtenir les financements la permettant.
Aujourd’hui, la plus jeune génération vous connaît surtout comme étant le porte parole de la cause écologique, de la protection de l’environnement et de la défense de la biodiversité, essentiellement par le biais de vos interventions dans les médias.
Nous vivons effectivement dans un monde très médiatique, où l’information circule à grande échelle et à une vitesse record. Ainsi, la télévision et Internet sont des outils précieux et indispensables pour véhiculer en masse les messages sur la nécessité de préserver les ressources de notre planète : Al Gore aux USA, Nicolas Hulot, vous-même en France, … Pourtant, si l’homme du XXIème siècle adhère globalement au discours éco-responsable, il s’est fabriqué ces dernières décennies des besoins qui coûtent cher à l’environnement en matière énergétique, et dont il aurait bien du mal à se priver aujourd’hui.
- Aussi, ne semble-t-il pas y avoir un fossé entre la parole et l’acte ? Vivons-nous dans un monde schizophrène ?
H.R. : Les habitudes nous gouvernent car c'est la facilité. Il faudrait prendre l'habitude d'en changer ! Evidemment ce n'est pas facile et la méthode nous est donnée par l'écrivain humoriste Marc Twain : "On ne se débarrasse pas d'une habitude en la flanquant par la fenêtre, il faut lui faire prendre l'escalier, marche par marche". Ainsi une amie a adopté un régime alimentaire moins carnivore, en renonçant à la viande, un repas sur deux, puis une journée sur deux... C'est tout bénéfice pour son organisme qui s'est progressivement adapté, pour sa santé. En quelque sorte opérer des évolutions, en faire un jeu, pas une révolution sauf si on a une volonté de fer...
Aujourd’hui, la prise de conscience des enjeux écologiques semble être acquise dans nos pays occidentaux « post-industriels » (USA, Japon, Europe). Pourtant, le monde actuel voit de nouvelles superpuissances émerger (Chine, Inde, Brésil, …) avec des potentiels de développements industriels et démographiques énormes, et une croissance économique souvent à deux chiffres. Pour que l’humanité inverse efficacement cette tendance à la surproduction et à la surconsommation, et entre dans un cercle vertueux répondant aux impératifs écologiques, il faut absolument une refonte profonde des comportements, et surtout harmonisée à l’échelle mondiale :
- Comment arriver à une telle harmonisation dans un monde à deux, voire trois vitesses ? Le comportement éco-responsable n’est-il pas un luxe que peuvent ne pas se permettre ces pays à fort potentiel de développement ? Une politique éco-responsable n’est-elle d’ailleurs pas un frein au développement d’un pays ?
H.R. : Nous les humains de France, de Chine, des U.S.A ou d'ailleurs, sommes tous des Terriens. Les pays ont tous des problèmes et ont tous conscience de l'importance des périls écologiques. Mais les dimensions économiques et sociales sont aussi importantes.
Les conférences internationales, les échanges culturels, les débats avec l'éclairage des scientifiques, le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) déjà rôdé et l'IPBES (Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) qui se met en place, tout cela contribue à conscientiser les gouvernements et les populations. La construction européenne montre que même entre pays proches sur un même continent, il est difficile de parvenir à s'accorder. Mais l'un des fondateurs de l'Europe, Jean Monnet nous a laissé un message à faire vivre : "Ce qui est important, ce n'est, ni d'être optimiste, ni d'être pessimiste, mais d'être déterminé ».
Ce qui compte dans tout pays c'est d'agir pour améliorer le sort des habitants déjà nés ou à naître... Et cela ne peut se faire avec les modèles du passé mis au point dans les pays les plus riches. Tout le monde sait que ces modèles conduisent à une impasse. Et à l'ère d'Internet, les informations circulent. Les interrogations sur le futur sont partagées. Il n'y a aucun gouvernement qui ignore les perturbations climatiques, la perte de biodiversité. Il n'y en a aucun qui refuse de faire des efforts. La Chine reboise, le Brésil tente d'enrayer la déforestation de l'Amazonie... Comme déjà dit, chaque pays a ses problèmes…
Enfin, qu’auriez-vous à dire à la jeune génération, notamment à ceux qui ne se sentent toujours pas acteurs dans la protection de l’environnement ?
H.R. : Sur un même bateau, en cas de tempête, tous les passagers sont concernés. Notre bateau s'appelle Terre. Et nous n'avons pas de bateau de secours.
Hubert Reeves, astrophysicien,
Président de la Ligue Roc/ Humanité & biodiversité
"Notre petite planète bleue a besoin de tous ses passagers."